Ingrid Bétancourt

J’ai senti un malaise et une drôle de proximité avec la franco-colombienne Ingrid Bétancourt en lisant son récit autobiographique «Même le silence a une fin», paru aux Éditions Gallimard. Elle raconte le contexte dans lequel sa deuxième preuve de vie a été captée, puis transmise aux autorités colombiennes et expose comment elle a pris connaissance de certains faits, durant sa captivité, par le biais de la radio de Radio-Canada.

«Un jour vers quatre heures de l’après-midi, alors que je jouais avec un poste de radio que Joaquin m’avait apporté en cadeau lors de l’un de ses visites précédentes, je captai, par hasard, sur ondes courtes, les informations de Radio-Canada. (…)

Pour l’heure j’étais à la joie d’avoir découvert Radio-Canada, et d’entendre parler français.

Mais mon plaisir se transforma en épouvante lorsque, à propos d’otages colombiens qui avaient été massacrés par les FARC, j’entendis prononcer mon nom. Je ne savais pas de quoi ils parlaient mais je restai pétrifiée, le poste collé à l’oreille, essayant de comprendre, avec l’angoisse qu’une mauvaise manipulation du poste n’aille me faire perdre ma faible réception du programme. Je ne voulais surtout pas rater la suite du bulletin d’informations. Quelques minutes après, ils répétèrent l’intégralité de la dépêche, et je découvris avec horreur que Gaviria et Echeverri venaient d’être assassinés».

INGRID BÉTANCOURT

Je ne peux m’empêcher de penser qu’à cette époque, j’ai bel et bien présenté des nouvelles concernant cette preuve de vie dans le cadre des bulletins nationaux et internationaux de la radio de Radio-Canada, qui étaient relayés par RCI. Et si c’était le son de ma voix, qui lui avait apporté réconfort puis désarroi, dans le fin fonds de sa prison amazonienne?

Lockout 2002

Le lock-out à Radio-Canada en 2002 fût le pire épisode de ma carrière. Ce qui ne devait être qu’un débrayage d’un jour pour accélérer les négociations s’est transformé en un véritable cauchemar. Des centaines d’employés à la rue pendant deux mois et demi.

Radio-Canada est en lockout!

Jean St-Onge, du service des sports, en piquetage devant Radio-Canada, alors que des agents de sécurité bloquent l’accès à l’édifice.
Photo Eric Barbeau/Barbeau-Images

En un rien de temps, l’enjeu de ce conflit de travail s’est mis à graviter autour des employés à statut précaire. Et sans le vouloir, je suis devenu une sorte de porte-étendard de ces sans-statuts.

À l’époque j’étais journaliste-présentateur dans la salle de nouvelles nationales et internationales. En dépit du fait que j’oeuvrais à la SRC depuis 1992, et dans de fort belles fonctions à Vancouver, à Québec et au réseau national à Montréal, je n’avais jamais connu la permanence ni la stabilité d’emploi. J’ai toujours signé des contrats de 10 mois et je devais me faire engager comme remplaçant d’été aux nouvelles ou dans d’autres services pour boucler l’année.

Mes prises de position durant le conflit m’ont placé en porte-à-faux avec la direction des nouvelles radio. À la fin du conflit en juin 2002 j’ai chèrement payé pour avoir osé décrire nos très instables conditions de travail. Dur apprentissage de la politique!

Quoi qu’il en soit, à la fin du conflit, je suis revenu en ondes aux nouvelles à 6h00 du matin, toujours sans statut, ni permanence. J’ai perdu deux mois et demi de revenus, de l’argent disparu à jamais. Ce matin-là, comme remplaçant, j’ai remercié le public d’être encore à l’écoute en commençant mon bulletin de nouvelles.

Parfois quand je repense à ce conflit de travail, je me remémore la jolie chanson que mon collègue Bertrand Hall avait composé pour l’occasion.

Barbeau-Images

Barbeau-Images (2000-2005)L’idée de lancer ma propre entreprise de photojournalisme est née lors d’un voyage en Équateur en 1999. Les images de la crise des autochtones Qechua que je rapportais chez moi méritaient d’être vues; l’histoire de ce petit pays d’Amérique du Sud méritait d’être racontée et partagée. L’arrivée de l’internet permettait de numériser les négatifs et de faire circuler les images partout dans le monde.

L’aventure photo a duré cinq ans à partir de ce 12 janvier 2000, date à laquelle Le Devoir a publié ma photo équatorienne. J’ai fait une multitude de premières pages par la suite, publié dans des publications prestigieuses comme l’Actualité, La Presse, Québec Science, Philadelphia Inquirer. J’ai voyagé en faisant des images, notamment en Haĩti où je suis retourné en 2004 comme photographe de presse. Mon reportage-photo dans le magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec était finaliste aux Grands prix du magazine québécois en 2005.

L’arrivée des appareils numériques performants vers 2003-2004 a complètement tué le modèle des agences de stock (ou images d’archive). La prolifération d’images gratuites rendait les banques d’images non viables. En 2005, j’ai confié mes droits à l’Agence Alpha-Presse.

À mon retour d’Haïti en 2004, j’ai aussi été souvent invité comme conférencier dans les clubs photo pour parler du journalisme par l’image.

La Facture

Après deux ans comme journaliste d’enquête à la radio, je suis débarqué à l’émission de télévision La Facture en 1996. À l’époque, l’émission était animée par Gilles Gougeon qui en avait élaboré le concept un an plus tôt avec Lucie Gagnon. L’émission à l’époque, attirait un auditoire d’un million de spectateurs assidus tous les mardis soirs.

À La Facture, notre rôle était simple: il fallait poursuivre les méchants fraudeurs ou confronter les institutions qui abusaient de leur pouvoir. L’émission a reçu au fil des ans une multitude de prix Gémeaux.

Tout compte fait

J’ai réalisé plus de 200 enquêtes de consommation à l’émission Tout compte fait depuis Québec entre 1994 et 1996. L’émission quotidienne d’une demi-heure était diffusée à 9h08 sur tout le réseau québécois et elle était animée par Jean Racine.

Je suis particulièrement fier de mon enquête sur les huissiers de justice, qui a mené à l’instigation d’un ordre professionnel des huissiers par le ministre de la Justice de l’époque, Paul Bégin, en 1995. Quelle ne fût pas ma surprise quand son attachée de presse m’a contacté pour me laisser savoir que le Procureur général du Québec avait une annonce exclusive à me faire!

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Kurt Cobain

Le suicide du chanteur de Nirvana a été l’incident le plus bouleversant de mon travail de correspondant à Vancouver.

Le 8 avril 1994, Kurt Cobain s’enlève la vie dans sa demeure de Seattle. À l’annonce de la tragique nouvelle, j’ai ressenti un immense besoin de témoigner. Sa mort violente plongeait la génération des baby-boomers dans l’embarras: qui est ce groupe appelé Nirvana? C’est quoi le grunge? Le weekend d’après, je me suis rendu à Seattle pour raconter l’histoire de ce mouvement. Le grand reportage radio de 12 minutes a été présenté à l’émission Dimanche Magazine, animée à l’époque par Michel Peland.

Pour moi, le disque Nevermind représentait des tonnes de souvenirs de l’époque où je dirigeais le Montréal Campus, le journal étudiant de l’UQAM. En 1991, le mythique album venait de sortir et on refaisait jouer inlassablement la cassette (oui, une cassette!) pendant les sprints de bouclage du journal.

Seul bon côté de toute cette histoire, en réalisant ce reportage, j’ai retrouvé Benoît Dufresne, un ancen animateur de CHOM qui avait fait découvrir tellement de musique émergente à bien des adolescents de mon âge. En cherchant un expert francophone capable de parler du grunge, j’étais tombé sur le légendaire Dufresne, qui s’était exilé en Colombie-Britannique pour diriger la programmation de CFMI, une station rock de Vancouver.

Monsieur le Premier ministre

Le premier sommet de la zone économique Asie-Pacifique (APEC) a eu lieu dans la région de Seattle en novembre 1993. J’ai couvert l’événement pour l’émission « Les Affaires et la vie » et présenté un reportage en direct le dimanche matin.

Le Sommet de Seattle fût aussi le lieu de la toute première rencontre en tête-à-tête entre Jean Chrétien et Bill Clinton. Après leur réunion, des dizaines de journalistes canadiens s’agglutinaient autour du nouveau premier ministre canadien pour savoir comment s’était déroulé cette première rencontre avec le président américain. «Monsieur Chrétien! Monsieur Chrétien», lançaient-ils tous. Aucune réponse de la part du petit gars de Shawinigan. Jusqu’à ce qu’un grand gringalet de Radio-Canada lui lance: «Monsieur le premier ministre…»

Le nouveau premier ministre s’est immédiatement tourné vers moi et j’ai monopolisé le scrum pendant cinq bonnes minutes… Un peu frustrés, mes collègues de la presse parlementaire m’ont par la suite reproché de n’avoir parlé que de coopération économique avec l’Asie, alors qu’ils souhaitaient entendre Monsieur Chrétien parler de sa rencontre avec Bill Clinton.

Tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à s’adresser à lui avec plus de décorum…

La Colombie-Britannique des années 90

J’ai été embauché comme chroniqueur politique et d’affaires publiques de la radio de Radio-Canada à Vancouver en janvier 1993. Lucien Bouchard et Eric Barbeau

Eric Barbeau dans les studios de Radio-Canada à Vancouver en mai 1994. Lucien Bouchard est en tournée au Canada anglais pour la promotion de la version anglaise de son autobiographie. Le chef de l’Opposition officielle à Ottawa s’est présenté à mon micro pimpant, fier et plus grand que nature. Il marchait encore sans canne (la maladie ne l’avait pas encore frappé) et transmettait un enthousiasme contagieux

 

En plus de faire la revue de presse chaque jour à l’aube pour l’émission du matin, je réalisais aussi des reportages d’affaires publiques sur les grands enjeux de l’heure. Les sujets ne manquaient pas. La côte ouest connaissait un véritable boom économique. Je me suis aussi intéressé à l’exploitation des ressources naturelles, à la gentrification du centre-ville de Vancouver, à l’ouverture du Canada sur l’Asie ou encore à l’essor du grunge à Seattle.

Je vivais dans une des sociétés les plus polarisées politiquement (gauche-droite) de toute l’Amérique du nord. Un gouvernement provincial néo-démocrate, une majorité de réformistes britanno-colombiens à Ottawa.

La campagne électorale fédérale de 1993 s’est avérée particulièrement fascinante. Il s’agissait de la fin de régime des Conservateurs. C’est aussi la période où le Parti réformiste a littéralement vu le jour dans le paysage politique canadien. J’ai parcouru la province au complet et quand je présentais des reportages décrivant la montée évidente du « Reform Party« , les patrons de l’information ne me croyaient pas! L’histoire a prouvé que c’est moi qui avait raison… avec l’élection majoritaire des Libéraux de Jean Chrétien, de 53 députés réformistes et d’une nouvelle Opposition officielle à Ottawa constituée de députés bloquistes. Personne (sauf moi) n’avait vu venir ce vent nouveau qui soufflait en 1993 sur la politique fédérale en général, et sur la Colombie-Britannique en particulier.

L’affaire Pelcom

Deux articles que j’ai écrits dans l’hebdomadaire Voir ont permis d’écrire une page de l’histoire du droit des médias au Québec. Mon enquête sur les Prix du meilleur commerce dénonçait l’arnaque derrière l’organisation de ce concours bidon. Mes articles «Qui paie gagne» et «De surprise en surprise» étaient vraiment dévastateurs.

Sans le savoir, je m’attaquais à un entrepreneur pour le moins combatif. Amiram Peleg a en effet obtenu de la Cour supérieure qu’une injonction soit émise pour nous empêcher de parler de quelque façon que ce soit de sa business. Cette injonction a déclenché un véritable branle-bas-le-combat dans l’univers des médias du Québec.

Un front commun des grands médias du Québec s’est formé, piloté par Me Marc-André Blanchard. L’injonction a finalement été renversée sur le banc (c’est-à-dire sans délibération des juges), dix-neuf mois plus tard.

Ce jugement lapidaire de la Cour d’appel est encore souvent cité en jurisprudence dans des causes de liberté d’expression et du droit des médias.

Le Péril jeune

Quand je suis arrivé à Radio-Canada, au printemps 1992, nous n’étions qu’une poignée de journalistes de moins de trente ans dans le réseau national. L’organisation était littéralement peuplée de baby-boomers qui avaient façonné le journalisme québécois dans les années 60. Michel Peland, Louis Martin, Gilles Gariépy, Guy Lamarche et Mario Cardinal ont été mes premiers mentors.

Ils étaient intrigués par cette nouvelle génération qui montait, la génération X. Gilles Gariépy, rédacteur en chef-délégué des affaires publiques radio m’a un jour demandé de lui présenter un projet d’émission sur ma génération. C’est ainsi qu’est né Le péril jeune, deux ans avant le célèbre film du même nom de Cédric Klapisch. L’émission animée par Michel Labrecque et réalisée par Monique Belzil traçait le portrait de ma cohorte. Les six épisodes de 30 minutes ont été diffusés le dimanche soir à l’automne 1992. J’avais 24 ans à l’époque.