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L’intégrité dans un état de droit

À l’ére de la « twittosphère » et des campagnes électorales 2.0, les raccourcis abondent.

L’intégrité est le thème favori des partis d’opposition. Mais pourtant, les moyens qu’ils préconisent pour en favoriser la protection sont plutôt absents de leurs plateformes. Que comptent-ils faire pour protéger et renforcer notre système judiciaire? Quel engagement financier? Le bâtonnier du Québec, Nicolas Plourde, dont le rôle, rappelons-le, est de veiller à la protection du public en matière de Justice, réclame en vain de tels engagements depuis des semaines.

La question n’est pas banale; elle est au cœur même de notre vie démocratique, mais représente à peine 1% des dépenses actuelles de l’état, selon le Barreau.

Il y a de quoi s’inquiéter, car à la lumière de l’actualité électorale, on a en effet de plus en plus l’impression que les fondements de l’état de droit sont mis à mal au Québec. Je parle ici d’un état complètement laïc, fondé sur le principe de l’égalité citoyenne et d’un partage équilibré des pouvoirs entre l’exécutif (gouvernement), le législatif (les 125 députés de l’Assemblée nationale) et le  judiciaire (policiers, procureurs de la Couronne, Tribunaux).

Dans cet état de droit laïc, les débats parlementaires, les décisions collectives, la bonne marche de l’état et le cours de la justice doivent faire fi des croyances, des impressions et des ragots. C’est un système factuel, basé sur des règles et des lois, telles que votées par les députés que nous élirons dans moins de trois semaines. Or, à quoi les candidats se sont-ils engagés jusqu’ici pour améliorer l’accès à la justice ou pour donner de réels moyens à la lutte à la corruption? Bien  peu de choses. Me Nicolas Plourde les pourchasse littéralement sur Twitter pour qu’ils se mouillent davantage.

Car il faut aller au fonds des choses. N’évoquer l’intégrité que par le biais d’insinuations contribue à un climat de méfiance extrême dans l’opinion publique face à TOUT ce qui relève du judiciaire. Défendre l’intégrité devrait pourtant signifier qu’on s’emploie à préserver l’équilibre des moyens financiers entre les différents pouvoirs, ça devrait signifier qu’on s’assure que tout citoyen peut raisonnablement avoir accès à un avocat. Défendre l’intégrité devrait vouloir dire qu’on s’assure que toute personne soupçonnée d’avoir enfreint les lois du Québec (ou le Code criminel, qui relève d’Ottawa) soit éventuellement jugée selon les règles de preuve et non pas qu’elle soit lynchée médiatiquement. C’est même le rôle des futurs élus de promouvoir ces principes et d’éduquer les électeurs par rapport à cet extraordinaire rempart qu’est la justice, au sens large,  face aux possibles dérives de pouvoirs qui deviendraient arbitraires… ou paresseux. Bref, parler d’intégrité ne veut pas dire qu’on se livre au jeu des insinuations, des amalgames douteux et des raccourcis de toutes sortes. C’est véritablement donner les moyens au système de faire son travail pour tous.

J’insiste sur la responsabilité des élus à cet égard. Leur rôle pédagogique est crucial, car les électeurs deviennent cyniques non seulement face à la politique, mais face à la justice tout aussi également. Cette année, on n’a cessé de questionner de grands criminalistes dans les talk-shows sur leurs motivations à représenter tels ou tels criminels, dans un contexte d’opprobre populaire. Incroyable de voir des représentants des médias remettre en question leur choix de carrière! J’affirme ceci : je monterais au créneau demain matin si on empêchait qui que ce soit, même le pire criminel, d’avoir accès à un avocat de la défense. Oui, je me battrais pour qu’il soit entendu en Cour et pour que ses accusateurs aient à présenter une preuve solide. Tous ceux qui aspirent à siéger à l’Assemblée nationale du Québec devraient pouvoir en faire autant.

J’entends déjà des détracteurs dire que si l’un des miens avaient été assassiné, je penserais autrement. J’en vois d’autres m’accuser d’être un gauchiste fini. Il n’en est rien. Je suis totalement en faveur de la loi et l’ordre. Mais pas dans le sens expéditif. Pas pour qu’on prenne des raccourcis. Pas pour qu’on juge plus vite, parce qu’on a escamoté les règles de l’état de droit. Je suis en faveur de la Loi et l’ordre en donnant plus de moyens à tous les rouages du système judiciaire : procureurs, enquêteurs, justiciables, tribunaux, accusés. Je veux un système judiciaire fort, solide et en moyens, car c’est ma garantie, comme citoyen, que si je suis un jour accusé à tort, j’aurai droit à un procès juste et équitable. Pour moi, c’est le ciment qui assure la paix sociale et c’est aussi important que la santé ou l’éducation.

Mais encore? Il faut maintenir l’équilibre (certains membres présumés du crime organisé ont des moyens disproportionnés par rapport à ceux des substituts du procureur-général et de grandes sociétés ont l’argent pour s’engager dans des mesures quasi dilatoires pour décourager les poursuites), en s’assurant de favoriser l’accès à la justice pour les citoyens ordinaires, en s’assurant de bien financer le travail des procureurs de la Couronne, en s’assurant que les Tribunaux ont le personnel pour entendre les causes rapidement, s’assurer aussi, car c’est le tout premier rouage du système judiciaire, que les forces policières disposent des ressources pour mener à bien leurs enquêtes.

On semble l’avoir oublié au Québec au cours des derniers mois : dans l’état de droit, le rôle de l’enquête est sacré. Qu’il s’agisse de drames familiaux ou de corruption, c’est là que la preuve est amassée. Dans l’état de droit, on ne procède pas par associations, par stéréotypes, par impressions ou par amalgames douteux. La preuve doit correspondre à des critères précis et être récoltée par des moyens légaux. Parfois c’est long. Parfois, il manque de temps ou de policiers. Souvent la pression publique est énorme. Parfois, les policiers sont renvoyés faire leurs devoirs parce que la Couronne estime qu’on ne lui fournit pas suffisamment de preuves pour aller à procès, selon les lois, la jurisprudence et les règles de procédure en vigueur.

Car oui, pour que le système continue de fonctionner, il faut faire un effort. Un effort moral. Un effort intellectuel. Mais surtout, un effort financier. Il faut un engagement immuable contre le cynisme et les raccourcis. Tous les candidats doivent s’engager dans cette défense du système judiciaire, parce que présentement, les citoyens (et certains députés) ont tant perdu confiance qu’ils souhaite que les journalistes fassent  le travail à la place des autorités. Pourquoi pas? Ne dit-on pas que les médias sont considérés comme  le quatrième pouvoir? D’accord pour ce qui est de soulever des questions. Oui, pour talonner les élus. Mais faire enquête à la place de la police, sans avoir à respecter les règles de preuve qui fondent notre système judiciaire? Absolument pas!

C’est pourtant ce qui risque d’arriver de plus en plus si on ne soutient pas davantage le monde judiciaire. Un système sous-financé et mal encadré cède aux raccourcis médiatiques, au cynisme et au désabusement. Quand des policiers laissent couler des informations sur des filatures avortées, c’est un signe que notre démocratie est réellement en péril. Or, si les policiers désespèrent de pouvoir porter des accusations, peut-être manquent-ils de ressources? Peut-être que les lois en vigueur donnent trop d’avantages aux criminels présumés? Attardons-nous plutôt à cela. Mais de grâce, ne créons pas un système de justice parallèle, dans lequel une fois à bout de moyens ou de preuve, les policiers coulent des infos aux médias pour qu’ils finissent la job!

Il n’y a pas de raccourci possible : préserver l’intégrité, c’est s’engager à investir dans la justice. À tous les niveaux.

Lockout 2002

Le lock-out à Radio-Canada en 2002 fût le pire épisode de ma carrière. Ce qui ne devait être qu’un débrayage d’un jour pour accélérer les négociations s’est transformé en un véritable cauchemar. Des centaines d’employés à la rue pendant deux mois et demi.

Radio-Canada est en lockout!

Jean St-Onge, du service des sports, en piquetage devant Radio-Canada, alors que des agents de sécurité bloquent l’accès à l’édifice.
Photo Eric Barbeau/Barbeau-Images

En un rien de temps, l’enjeu de ce conflit de travail s’est mis à graviter autour des employés à statut précaire. Et sans le vouloir, je suis devenu une sorte de porte-étendard de ces sans-statuts.

À l’époque j’étais journaliste-présentateur dans la salle de nouvelles nationales et internationales. En dépit du fait que j’oeuvrais à la SRC depuis 1992, et dans de fort belles fonctions à Vancouver, à Québec et au réseau national à Montréal, je n’avais jamais connu la permanence ni la stabilité d’emploi. J’ai toujours signé des contrats de 10 mois et je devais me faire engager comme remplaçant d’été aux nouvelles ou dans d’autres services pour boucler l’année.

Mes prises de position durant le conflit m’ont placé en porte-à-faux avec la direction des nouvelles radio. À la fin du conflit en juin 2002 j’ai chèrement payé pour avoir osé décrire nos très instables conditions de travail. Dur apprentissage de la politique!

Quoi qu’il en soit, à la fin du conflit, je suis revenu en ondes aux nouvelles à 6h00 du matin, toujours sans statut, ni permanence. J’ai perdu deux mois et demi de revenus, de l’argent disparu à jamais. Ce matin-là, comme remplaçant, j’ai remercié le public d’être encore à l’écoute en commençant mon bulletin de nouvelles.

Parfois quand je repense à ce conflit de travail, je me remémore la jolie chanson que mon collègue Bertrand Hall avait composé pour l’occasion.

Barbeau-Images

Barbeau-Images (2000-2005)L’idée de lancer ma propre entreprise de photojournalisme est née lors d’un voyage en Équateur en 1999. Les images de la crise des autochtones Qechua que je rapportais chez moi méritaient d’être vues; l’histoire de ce petit pays d’Amérique du Sud méritait d’être racontée et partagée. L’arrivée de l’internet permettait de numériser les négatifs et de faire circuler les images partout dans le monde.

L’aventure photo a duré cinq ans à partir de ce 12 janvier 2000, date à laquelle Le Devoir a publié ma photo équatorienne. J’ai fait une multitude de premières pages par la suite, publié dans des publications prestigieuses comme l’Actualité, La Presse, Québec Science, Philadelphia Inquirer. J’ai voyagé en faisant des images, notamment en Haĩti où je suis retourné en 2004 comme photographe de presse. Mon reportage-photo dans le magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec était finaliste aux Grands prix du magazine québécois en 2005.

L’arrivée des appareils numériques performants vers 2003-2004 a complètement tué le modèle des agences de stock (ou images d’archive). La prolifération d’images gratuites rendait les banques d’images non viables. En 2005, j’ai confié mes droits à l’Agence Alpha-Presse.

À mon retour d’Haïti en 2004, j’ai aussi été souvent invité comme conférencier dans les clubs photo pour parler du journalisme par l’image.

La Facture

Après deux ans comme journaliste d’enquête à la radio, je suis débarqué à l’émission de télévision La Facture en 1996. À l’époque, l’émission était animée par Gilles Gougeon qui en avait élaboré le concept un an plus tôt avec Lucie Gagnon. L’émission à l’époque, attirait un auditoire d’un million de spectateurs assidus tous les mardis soirs.

À La Facture, notre rôle était simple: il fallait poursuivre les méchants fraudeurs ou confronter les institutions qui abusaient de leur pouvoir. L’émission a reçu au fil des ans une multitude de prix Gémeaux.

L’affaire Pelcom

Deux articles que j’ai écrits dans l’hebdomadaire Voir ont permis d’écrire une page de l’histoire du droit des médias au Québec. Mon enquête sur les Prix du meilleur commerce dénonçait l’arnaque derrière l’organisation de ce concours bidon. Mes articles «Qui paie gagne» et «De surprise en surprise» étaient vraiment dévastateurs.

Sans le savoir, je m’attaquais à un entrepreneur pour le moins combatif. Amiram Peleg a en effet obtenu de la Cour supérieure qu’une injonction soit émise pour nous empêcher de parler de quelque façon que ce soit de sa business. Cette injonction a déclenché un véritable branle-bas-le-combat dans l’univers des médias du Québec.

Un front commun des grands médias du Québec s’est formé, piloté par Me Marc-André Blanchard. L’injonction a finalement été renversée sur le banc (c’est-à-dire sans délibération des juges), dix-neuf mois plus tard.

Ce jugement lapidaire de la Cour d’appel est encore souvent cité en jurisprudence dans des causes de liberté d’expression et du droit des médias.

Coucours international de reporter radio

Au printemps 1992, j’ai été choisi avec François Colas parmi une multitude de candidats de partout au Canada, pour représenter la SRC à un concours international de reporter radio, la Bourse René-Payot.

Eric Barbeau et François Colas

Eric Barbeau et François Colas, les candidats canadiens au concours international de reporter radio de la CRPLF en 1992 et Benoît Lavoie, coordonnateur du concours pour la SRC.
Photo: SRC / Circuit fermé

Le jour de l’épreuve en direct, le 6 avril 1992, face à des concurrents de Belgique, de France et de Suisse, ma performance nous a fait vivre toutes sortes d’émotions. Je savais que je devais prendre un risque pour me démarquer. Pendant la présentation de mon projet de reportage sur la surdité, j’ai opté pour un long silence. Inutile de dire que j’ai attiré l’attention des juges internationaux… qui m’ont proclamé gagnant. Mais je n’oublierai jamais la voix de ce juge belge, au bout de la ligne de duplex. «Je crois qu’il y a une erreur de calcul…»

Finalement, j’ai fini deuxième, à trois maigres petits points du gagnant, Christian Roudot de France, sur un total possible de 1000 points!

Chaque année depuis 1982, la Société Radio-Canada choisit deux candidats à travers le pays pour la représenter à ce prestigieux concours. Le gagnant de l’épreuve en direct se mérite une bourse d’environ $10000 et un stage à l’étranger.

 

Montréal Campus

À l’époque de mon recrutement comme rédacteur en chef du Montréal Campus, j’étais encore inscrit à l’Université de Montréal. Mon travail à la radio CISM de l’Université de Montréal m’a donc  mené tout droit à la direction du journal étudiant de… l’UQAM!

À la fin des années 80, Montréal Campus était encore le seul journal étudiant de l’Amérique du nord totalement indépendant, tant politiquement que financièrement. La publication s’auto-finançait par la publicité. Un café était exploité à même les locaux de la rédaction, rue Ste-Catherine Est. Tous les membres permanents de la rédaction étaient payés et les collaborateurs recevaient un cachet pour leurs textes.

En éditorial, j’ai été appelé à prendre position sur l’actualité étudiante de l’époque au sens large. En 1989, le président de la Chambre de commerce de Montréal critiquait ma position sur le dégel des frais de scolarité à l’université. -Trente-, le magazine du journalisme québécois, m’a aussi interviewé en 1989 sur le rôle et la place des médias étudiants.

Montréal Campus était considéré -et est encore considéré!- comme une pépinière de futurs journalistes professionnels. Son contenu, dans la faune des publications militantes, était perçu comme une référence en terme de crédibilité et de qualité. Le journal a célébré ses 30 ans d’existence en 2010 et j’étais bien fier d’être cité dans le numéro spécial du Devoir du 23 février 2011.

La radio dans la marge

Quand j’ai mis les pieds dans les locaux de CISM pour la première fois en 1988, la radio étudiante de l’Université de Montréal n’émettait que sur circuit fermé. J’avais répondu à une annonce placardée partout sur le campus à l’effet que l’on cherchait des projets d’émissions. Quelques jours plus tard, j’étais en ondes et j’animais une émission d’information intitulée L’Actuel.

Eric Barbeau au micro de CISMMon deuxième passage à CISM a eu lie en 1991 au service des nouvelles. La station était passée depuis sur la bande FM à la fréquence 89.3FM. Il s’agissait d’une tribune extraordinaire. Avec un émetteur de 10 000 watts, on pouvait nous entendre partout dans la grande région de Montréal. Nous étions affiliés au réseau NTR de la Presse canadienne que nous alimentions régulièrement en reportages.

Lors du putsch en Haïti qui a chassé le président Aristide du pouvoir pour la première fois en septembre 1991, j’ai mis mon carnet d’adresses au profit de CISM.  Mes entrevues à distance (parfois en direct) avec des membres du gouvernement Lavalas, cachés dans leur pays, ont vite fait parler d’elles dans la diaspora.

Cliquer sur le micro pour entendre l'audio

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J’ai reçu un prix NTR en 1991 pour ma couverture du conflit.